Alcida et les deux Goliath

l'Acadie Nouvelle - 25 mai 1998

Jusqu'en 1991, Alcida Bouchard, originaire de Campbellton, filait une petite vie tout à fait normale et sans histoire. Lorsqu'un jour de l'hiver 1991, elle a pris place dans la voiture de sa fille pour une ballade, jamais elle ne se serait dou

té que sa vie prendrait un tournant tragique. Quelques instants plus tard: boom ! Le métal de la voiture se tordait et se brisait de mille façons. Souffrant de blessures multiples, elle fut transportée à l'hôpital. Son cauchemar commençait.

Dans un premier temps, elle ne reçut que des traitements sommaires à l'hôpital. Ensuite, lorsqu'elle chercha à consulter un médecin, ce dernier lui dit qu'il ne voulait pas la soigner parce qu'elle relevait de la Société de l'assurance automobil

e du Québec (SAAQ). Le médecin lui expliqua rapidement qu'il refusait de voir des patients, dont le paiement des soins relevait de la SAAQ. Selon ce dernier, le régime d'assurance est très tatillon et il cherche de nombreuses excuses pour empêche

r les bénéficiaires de toucher à leur pleine prime en plus de donner toutes sortes de maux de têtes aux médecins.

Pour cette raison, Alcida Bouchard dut se trouver un autre médecin traitant, ce qu'elle fit au Nouveau-Brunswick. C'était loin d'être la fin de ses problèmes, puisqu'à ce jour la SAAQ refuse de reconnaître que les traitements dont elle a encore be

soin aujourd'hui sont le résultat de l'accident de voiture qui a eu lieu au Québec dans une voiture immatriculée dans cette province. Pour cette raison, chacune de ses démarches est une longue litanie bureaucratique qui nécessite de nombreux appel

s téléphoniques, des lettres, des explications, des arguments qui l'amènent toujours dans un cul de sac imposé par la SAAQ.

Pendant ce temps, Alcida Bouchard souffre terriblement à une mâchoire qui refuse de guérir et un bras droit, dont elle sent qu'elle perd graduellement l'usage.

Comme si tout n'avait jamais de fin, les médecins ont déclaré qu'elle était, depuis cet accident, incapable de travailler. C'est probablement ce qui a été le plus difficile pour elle car, avant l'accident, elle occupait un emploi qui lui permettai

t d'être indépendante financièrement. Lorsque du jour au lendemain on se retrouve sans revenu, c'est aussi la dignité humaine qui prend le bord. Donc, une de ses premières démarches a été d'essayer d'obtenir sa pension d'invalidité du Régime de pe

nsion du Canada. Elle qui croyait que le tout serait une simple formalité, a eu la surprise de sa vie lorsqu'elle a appris que le Régime refusait sa demande.

Alcida Bouchard affirme: «Pourtant, j'ai payé des cotisations toute ma vie. Même que j'ai travaillé de nombreuses années avant que le système de pension soit établi au pays. J'étais là avant eux autres et maintenant, ces jeunes blancs-becs se croi

ent tout permis. Le problème, c'est que le Régime tente d'éliminer un certain pourcentage de personnes qui font une demande. Leur stratégie consiste à décourager les gens en cours de route afin de ne pas leur donner ce qui leur revient. Ains

i le gouvernement épargne de l'argent sur le dos des gens qui ont travaillé toute leur vie, qui ont payé des cotisations et qui ont droit à la pension.»

Alcida Bouchard a refusé de plier devant ces deux Goliaths. Pourtant, elle a pleuré son lot de découragement, mais à chaque fois elle a décidé de lutter. Il est à se demander comment une personne peut faire preuve de tant de détermination. La répo

nse est pourtant toute simple: «C'est mon droit que je défends!», répond-t-elle le plus simplement du monde. On sent dans sa voix qu'elle luttera jusqu'au bout pour obtenir justice.

En janvier 1997, elle a inscrit une victoire majeure dans ce dossier qui traîne depuis plus de six ans. Au cours d'une audience de la Commission d'appel du Régime de pension du Canada, on lui a reconnu le droit d'obtenir sa pension d'invalidi

té. Pourtant, les administrateurs du Régime ont aussitôt interjeté appel. Depuis ce temps, Alcida Bouchard attend le résultat de cette contestation. Comme une fourmi, elle continue son petit bonhomme de chemin. Elle continue de téléphoner aux resp

onsables du Régime. D'eux, elle glane une bribe d'information ici et là, ce qui lui permet d'assembler tous les morceaux d'un casse-tête bureaucratique qu'elle commence à comprendre.

«J'ai l'impression que les administrateurs de ce monstre inhumain sont en colère contre moi. Malgré toute leur puissance, j'ai réussi à prouver que j'avais raison. Je crois que ça les met dans tous leurs états, parce que je suis seule et presqu

e sans ressources pour lutter contre eux. Imaginez leur tête quand ils ont découvert qu'une personne sur l'aide sociale est plus forte qu'eux. En prouvant que j'ai raison, vous ne trouvez pas qu'ils ont l'air idiots'», dit Alcida Bouchard d'un to

n calme et mesuré.

D'ailleurs, depuis plus de 6 ans, elle accumule la correspondance des administrateurs de son cas dans un dossier qui est devenu très volumineux au fil des ans. À ce propos, elle a un conseil pour tous ceux qui sont confrontés à l'appareil bureaucr

atique: «Prenez des notes de toutes vos conversations avec les responsables de votre dossier et avant de raccrocher le téléphone, il faut leur demander ceci: “Pourriez-vous mettre ça par écrit, s'il vous plaît?”». Elle éclate de rire en disant cel

a parce qu'il arrive que les responsables refusent d'acquiescer à sa demande. «Parfois, j'ai dû leur téléphoner pendant des mois pour enfin obtenir la lettre désirée. Avec de la patience et de la détermination, ça marche. Il ne faut pas abandonner

.»

Voilà une remarque qui nous permet de comprendre l'exploit héroïque d'une personne bien ordinaire du Restigouche, qui à sa façon, ose confronter un système inhumain qui traite les individus comme de vulgaires statistiques, alors qu'Alcida Bouchar

d insiste pour qu'on lui reconnaisse son statut d'être humain à part entière.

Ce genre d'héroïsme ordinaire confirme qu'un seul grain de sable dans l'engrenage de la machine peut momentanément arrêter celle-ci de fonctionner. Alcida Bouchard sait qu'elle a droit à sa pension d'invalidité et même confrontée aux deux Goliat

h gouvernementaux, elle a l'intention de lutter jusqu'à ce qu'on lui rende justice.